lundi 14 septembre 2009

pour marthe wéry, sept exercices d'admiration



série MW, huile sur bois, 2004, 20 ou 15 x 22, collection particulière

j'ai une grande grande admiration pour l'œuvre de marthe wéry, peintre belge née en 1930.
en 2004, j'ai voulu lui rendre une sorte d'hommage. à partir de sept petites peintures sur bois, réalisées "sur ses traces" et "dans ses pas", j'ai composé un livre, tiré sur papier Arches.
les "sept exercices d'admiration" sont composés de sept doubles pages : à droite, la reproduction de la peinture à taille réelle; à gauche un texte qui recompose avec des mots la surface de cette peinture — en conséquence, les textes ne sont pas toujours faciles à lire et j'en donne une version linéaire plus sage en-dessous…


(cliquez sur l'image pour agrandir)


-->

1 liquider la peinture



liquider la peinture la remettre en mouvement liquider la peinture la remettre en mouvement liquider la peinture la remettre en mouvement liquider la peinture la remettre en mouvement liquider la peinture la remettre en mouvement liquider la peinture la remettre en mouvement liquider la peinture la remettre en mouvement liqui
tension superficielle des liquides
oscillation entre inertie et énergie un battement et puis reprise du courant
flux et reflux
une des rares décisions possibles : laisser couler la couleur.
envahissante, sa liquidité déborde toute digue va où elle veut et marthe wéry va
où la peinture veut aller.
dangereuse couleur : sa vitesse sa lenteur et ce qui coule
à travers elle, incontrôlable indécidable.
« là, la couleur ne veut pas aller ! » [m. w.]


-->






(cliquez sur l'image pour agrandir)


2 pas de panique


ne pas vouloir le résultat, ne pas vouloir
pas de panique
…il suffit d’être là quand ça arrive
seulement tenir l’effort de maintenir
ouverte la peinture
maintenir l’espace ment, l’écart en grand
écart
[l’ écart c’est le battement]
écart qui
baille sur
le sans fond ?









(cliquez sur l'image pour agrandir)

3 il n’y a personne


là où va la peinture, je la suis; et là où va la peinture, il n’y a personne
[ personne ]
ce qui remue [ce qui arrive] ce qui passe [ce qui se passe] à la surface de la toile, de la page, c’est le « mouvement sans cœur de l’image ». c’est ce qui est installé là un moment au centre de rien et qui n’a pas de centre pas de cœur, comme un visage se défait en flaque et se reforme fugacement ailleurs. c’est l’avant-visage la primordiale face qui gît au fond, la peinture qui fait face de tout son fond puis s’efface s’enfonce. la perte de figure défigurante laisse voir le fond : il y a fond sous la face mais dans ce fond est-ce qu’on a pied ?
il n’y a pas de centre à ce travail de la peinture, il se fait ici, là, ailleurs, dans le même temps ouvert et égal, sur
toutes surfaces









(cliquez sur l'image pour agrandir)


4 répétition écart répétition



ment la peinture incessamment la peinture incessamment la peinture incessamment la peinture incessamment la peinture incessamment la peinture incessamment la peinture incessamment la peinture incessamment la peinture incessamment la peinture incessamment la peinture incessamment la peinture incessamment la peintu
commencer c’est désirer
désirer c’est commencer
commencer c’est recommencer
ce qu'on voit de la peinture , ce qu'on voit : le travail que c'est
de peindre le travail le travail de la peinture
et ce travail est toujours en train de se faire. regarder la peinture c'est regarder la peinture se faisant. le seul temps que conjugue la peinture c’est le participe présent. la peinture l’étendue. plate-forme de temporalité espacée, le temps distribué réparti étalé à la surface. le travail de la peinture est une mise à plat, une mise à niveau.
la liquidité de la peinture sa viscosité toujours au niveau zéro de la surface.
la peinture met à plat le travail de peindre, dégonfle l’héroïsme de l’artiste.
il n’y a qu’un très petit nombre de décisions à prendre : laisser
faire la peinture / reprendre incessamment le travail.
de proche en proche de répétition en répétition
répétition écart répétition reprise variation
comme dit marthe wéry « c’est pas fini » « ça va ça vient ».
on en a jamais fini avec la peinture même liquidée, rendue à sa liquidité, à chaque endroit à tout moment la reprise est possible.
le travail de la peinture est toujours à recommencer.





(cliquez sur l'image pour agrandir)


5 la peinture : une venue



la venue du gris de l’opaque affleurant la surface comme une remontée du fond obscur sans couleur qui pèse en retrait de la peinture, une charge d’ombre qui appuie. un enfoncement foncé sans couleur décidable, la boue d’où émerge la peinture et dont elle se sépare en s’y adossant.
amenée à la lumière à la surface, dans le présent immédiat et déjà là de la peinture, comme elle résiste alors, la boue grise des fonds placée en plein jour, comment elle fait écran tout en se laissant voir (et il ne faut pas avoir peur ce privilège : voir le fond en plein jour), comment elle joue, membrane respirante, de ce qui entre et sort par la peinture et sans bouger de son lieu même.
le gris ce qui s’y trame : peut-être la couleur en train d’apparaître. et grise, donc, s’avance la peinture sans bouger de là, et dans son immobilité même nous rejoint, nous devance. elle vient à nous.
la peinture : une venue.
marthe wéry nous fait présent du présent de la peinture. c’est toujours à présent son printemps qu’on pressent comme un premier temps, un commencement qui se reprend s’étale et prend tout son temps. une surface et toujours fraîche de son urgence hors temps — le printemps et frais généralement et fraîche [attention] la peinture [habituellement sur les bancs].
ce qui s’y tend : un glacis qui s’endure présent. endurante présence de la peinture, toujours au présent. en ce maintenant qui dure, c’est la peinture qui endure le temps, en nous maintenant au présent. je vous entends marthe wéry que je connais pas dire cependant : je vous présente la peinture, toujours en ce moment je peins le présent de la peinture, présent infiniment.
flaque
venant à présent
peinture étale s'aventurant,
égale se différenciant,
paradoxale se rassemblant
je vous fais un présent de la peinture

-->





(cliquez sur l'image pour agrandir)


6 quelque chose incontrôlable


comme la vie . elle dit :
la peinture comme la vie . vivante comme la vie . marthe wéry le dit. comme la vie, elle va, elle vient. elle est là, étale. elle repart, incessante comme la vie. certains jours elle prend son temps, s’écoule doucement à plat fait quelques flaques. va jusqu’aux bords. s’arrête.
médite [médite autre chose] médite et invente la suite (toute seule) . alors
c’est la reprise. elle repart dans une autre direction. improvise une suite sur une autre toile, une suite qui est un ailleurs d’elle-même né d’elle-même, comme la vie reprend après un arrêt un repli un engourdissement une stagnation. alors tout
se déverse ailleurs, se transvase,
la vase du fond dans la lumière liquide
c’est la peinture qui invente la peinture
[mettre en route quelque chose d’incontrôlable]








(cliquez sur l'image pour agrandir)


7 la couleur, l’ouvert



« je pense que l’étonnement est transmissible » [m. w.]
l’ouvert, l’éclat
ce qui n’a pas de lieu, la lumière
s’espace s’exposant dans la couleur.
exposition : apparition et disparition
dans l’ouverture de l’éclat.
pas contenir : la couleur
le ravissement par la couleur, sa contagion.
la couleur est l’événement de la peinture.









j'ai fait parvenir un exemplaire de ce livre à marthe wéry à travers sa galerie, (micheline szwajcer, à Anvers). je sais seulement qu'elle l'a reçu.
marthe wéry est morte le 8 février 2005.



Aucun commentaire: