jeudi 3 septembre 2009

un été à Nogent : les grandes vacances (4)



sur la table bleue

distraction 3 : se souvenir

aller dans la famille ancienne, dans le pays d’autrefois, chez les grands parents les grands mères qui attendent dans leurs massifs anciens, central ou armoricain, aller vers l’ancien temps, vers l’enfance de ses parents, aller vers les débuts du monde, vers les maisons sans confort, l’eau à tirer à la fontaine au puits, le lavoir le linge lourd l’eau glacée, les cabinets en planches puants au-dehors asphyxiants au dedans, les mouches, la nuit tombée tôt l’ampoule faible, le beurre rance dans le placard le fromage de chèvre dur comme un caillou les cagettes de pêches de vigne qui parfument le garde-manger, les animaux inquiétants, les mouches, le cochon dans la soue, la soupe du cochon, le cochon dans la soupe, les vaches lentes aux cuisses plaquées de bouse, les mouches, les chiens grands comme des veaux surgis au détour d’un chemin tel le loup de la fable et alors il faut courir un pain de deux sous chaque bras, les genêts qui pètent au soleil, les libellules frôlant la rivière, le torrent les truites froides qui se laissent prendre à la main engourdies, les buses fixées au ciel leur cri répercuté par les montagnes, l’orage qui menace la cueillette de fraises des bois, le refuge dans l’obscurité lourde des sapins où se tient le silence, le silence coupant sifflant de la montagne, le dur soleil, le vent du soir « la montagne devint vi-yolète » la vaillance pour toujours inutile de toutes les petites chèvres aux sabots noirs-zé-luisants, le papier tue-mouches, les roues de charrettes cerclées de fer qui assourdissent les cailloux du chemin, l’odeur de grésil des bœufs leurs grands cils calmes sous le torchon qui ombrage leur front, les mouches, les montagnes de foin où tomber s’étouffer à plaisir, les chaussettes blanches du dimanche, l’église miniature froide et sonnante sous le grégorien aigre remâché par les vieilles de dessous leurs foulards, le choc paresseux des boules de pétanque à l’heure de la sieste, les soirées d’ennui rêveur sous les chiures de la lampe, les petits chevaux les dames, pas les échecs pas la radio, la crapette la bataille le loto, l’ennui, la fatigue du jour les brûlures du soleil, la rituelle promenade vespérale sur la route goudronnée jusqu’au grand rocher qui domine le ravin où tout le village vient déverser ses ordures, le ciel formidablement étoilé, la chanson reprise en canon pour braver la peur du noir, l’humidité ascendante qui prend les mollets le frisson du retour à la maison si petite sous la nuit verticale, le grincement des volets que l’on tire enfermant au dehors le grésillement des grillons le grésillement des étoiles, le silence qui bourdonne aux oreilles et les yeux grands ouverts dans le noir s’emplir du souvenir du torrent qui poursuit dans la nuit des temps son creusement obstiné jusqu’aux froides enfers, qui appelle qui mugit sa clameur dans la tête des enfants, — endormis tout d’un coup au beau milieu de leur terreur même, sans qu’ils sachent comment ils ont réussi à traverser la nuit pour que ce soit déjà le matin, éblouissant, inoffensif et l’on pense à nouveau que le monde est habitable à l’homme que l’on pourra dévaler la pente des prés gorgés d’eau en sautant les rigoles, en faisant jaillir les sauterelles les criquets jaunes et verts et gras les grenouilles minuscules et on trébuche emporté de vitesse, on déboule dans un champ d’orties, on crie, on brûle de partout : on est vivant.

et

distraction 5 : la carte michelin



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distraction 4 : le canevas


est disposée sur un petit fauteuil de camping.
("Tu te languis, petite ? Fais ton canevas…")




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